La rétrospective 2025 de Saveria Mendella
Journaliste, doctorante en anthropologie de la mode et en philosophie du langage à l’EHESS et créatrice du podcast “Les Gens de la mode”, Saveria Mendella renouvelle l’exercice de la critique de mode de sa plume minutieuse et érudite. Pour PRSNA MAGAZINE, elle nous confie ses coups de cœur de l’année 2025.
“Je suis Saveria Mendella, vous êtes avec Les Gens de la mode”, cette introduction désormais iconique (pour tous les puristes de la fashion) est tirée du podcast Les Gens de la mode de Saveria Mendella et résume parfaitement le travail de vulgarisation de la doctorante aux mille et une casquettes. Depuis plus de dix ans maintenant, cette dernière s’est forgée une place de choix dans l’industrie. Après une enfance passée à Marseille, elle débute sa carrière à Paris par des stages au cœur de maisons prestigieuses comme Hermès et Chanel. Elle découvre les coulisses de la mode et construit peu à peu son réseau grâce à des expériences formatrices en tant qu’attachée de presse puis journaliste. Depuis toujours, elle rêvait de faire ce métier : “Je n'ai pas grandi dans des milieux créatifs, mais dans des milieux intellectuels marseillais, plutôt locaux, ce qui fait que je formulais mal ce que je voulais faire exactement. Mes cadeaux au collège étaient l'abonnement à Vogue, des Stockman, des tissus ramenés d'Inde alors que je ne sais pas coudre un revers. Pourtant, je voulais déjà travailler dans la mode et je passais mon temps à lire.” Elle garde un souvenir presque proustien des tenues de sa mère, sortes de premières révélations vestimentaires : “Ma mère était une grosse cliente des designers des années 90-2000 comme Jean Paul Gaultier, Galliano et Kenzo. Je me souviens d’un pantalon en velours à fleurs Kenzo qu’elle avait et qu’elle mettait tout le temps avec un col roulé orange. J’adorais ça.”
Vogue France, Harper’s Bazaar, MAD, GQ… La journaliste a désormais apposé son empreinte dans les plus grands magazines et médias de mode tout en continuant son chemin dans la recherche. Alors qu’on pensait le travail de critique de mode cantonné aux années 1990-2000 et réservé aux icônes de la discipline comme Suzy Menkes aux États-Unis, figure tutélaire du Vogue américain, ou Sophie Fontanel en France, cheffe de la rubrique mode du Nouvel Obs, Saveria Mendella nous prouve le contraire avec des textes pertinents élaborés via un prisme sociologique et féministe ultra-contemporain. Toujours en lien avec l’actualité, les analyses de Mendella font s’entremêler les disciplines (littérature, philosophie, cinéma) ancrant la mode dans un écosystème culturel et politique qui contourne les idées reçues d’un monde jugé superficiel dans l’imaginaire collectif. Son podcast Les Gens de la mode réunit de grands noms du métier comme Mademoiselle Agnès, Louis Gabriel Nouchi ou encore Gauthier Borsarello et offre une tribune pour démocratiser la mode. Pour célébrer la fin de l’année, Saveria Mendella nous partage sa rétrospective 2025. On y parle performative male, Diana Vreeland et masque LED.
qu’est-ce qu’il faut supprimer de son vestiaire en 2025 ?
S.M : “Je ne dis jamais, jamais dans la mode parce que je suis actuellement à la recherche de baskets compensées Isabel Marant vintage. En revanche, je suis sûre qu’il faut abandonner le fluo. Je suis absolument contre le fluo.“
qU’EST-CE QU’IL FAUT GARDER DANS SON VESTIAIRE en 2026 ?
“Les vieilles fourrures.”
Ton avis sur La mode des Parisiens qui s’exilent à Marseille ?
“Je pense qu’ils ne savent pas ce que c’est un hiver à Marseille. C’est beaucoup plus doux et agréable, en revanche, on s’y ennuie beaucoup plus. Je crois aussi qu’ils ne se rendent pas compte qu’ils doivent avoir le permis pour aller à Marseille. C’est une ville très proche de Los Angeles car elle se pratique en voiture, de quartier en quartier, dans les maisons des uns et des autres. On reçoit beaucoup plus chez soi que l’on ne sort. La ville est sublime avec des espaces naturels qui rendent les Marseillais moins citadins que les Parisiens. On est tout de suite confronté à la mer, aux calanques, aux petites forêts à droite et à gauche.”
Ton icône mode de l’année 2025 ?
“Mon icône mode de l’année est mon icône mode de toujours, Diana Vreeland. Je suis fan d’elle depuis toute petite. Elle était rédactrice en chef à New York et elle avait un pied dans la culture avec le Met Gala. En plus, ma famille est d’origine italienne et je me rappelle qu’elle avait des ongles rouges avec un total look noir. J’adore ça, le total look noir, et je pense que c’est ce qui me va le mieux mais en même temps, je veux m’opposer à ma mère et à ma grand-mère en mettant de la couleur. J'ai des photos de moi à 4 ans où j'ai tous les colliers de perles de ma grand-mère et Diana Vreeland avait tout le temps un collier de perles, un look très méditerranéen tout en étant une New-Yorkaise. Visuellement, j’étais capable de comprendre cette vieille dame. Je suis bien contente qu’elle soit revenue dans la lumière en 2025 avec le défilé Métiers d’art Chanel de Matthieu Blazy.”
Quel est ton grand moment mode de l’année 2025 ?
“Je pense que c’est la valse des directeurs artistiques, ce sont les chaises musicales qui ont marqué l’année. Hors œil féministe dû au manque flagrant de parité, je pense que c'était intéressant. On arrivait au bout d'un cycle, on tâtonnait sur le cycle qui avait été lancé depuis 1997, on était en fin de période. On entre dans une nouvelle ère qui va sûrement ralentir sur l’influence. J’ai l’impression que c’est un directeur artistique grand public qui s’habille en jean et en t-shirt qui va redevenir un vecteur de valeur.”
Quel était ton défilé préféré de l’année 2025 ?
“Peut-être le défilé Chanel Métiers d’art 2026 de Matthieu Blazy à New York. J’ai été complètement convaincue par ce second défilé. J’ai adoré cette ouverture sur le grand public avec le t-shirt “I love New York” qu’on peut trouver dans un shop de quartier si on n’a pas les moyens de s’acheter du Chanel. C’était du Karl Lagerfeld version 2025.”
Ton avis sur la tendance 2025 des performative men ?
“Je pense qu’il y a un problème dans la mode masculine puisqu’elle est partagée par tout le monde même par la mode féminine et qu’elle n’a pas de stéréotypes. Chez les femmes, il va y avoir la bimbo, la girl boss, la cagole… On a des stéréotypes qui vont permettre de s'identifier et donc d'exclure des parties de la population qui vont jouer des rôles de communauté. Dans la mode masculine, on n’a rien. Les clients de la mode masculine n'ont pas la capacité de s'identifier à des figures stéréotypées. Je pense que les réseaux sociaux et particulièrement TikTok sont là pour répondre à cette problématique, à ce manque d’identification. Au départ, le performative male, j'ai trouvé ça cool en me disant qu’un mec allait pouvoir mettre un col camionneur et se balader avec son mug en se disant qu'il appartient à un cliché de la mode, puisque qu’on recherche des stéréotypes dans la mode. Ceci dit, on est sur les réseaux sociaux, on est à une époque où ça va très vite et donc je le trouve un peu pauvre en termes de clichés et de codes d'identification. S’il n’a pas de livres et pas de tote bag, qu’est-ce qu’il en reste ? C’est beaucoup plus pauvre que les clichés historiquement fournis par la mode contemporaine femme.”
La pièce que tu as le plus porté en 2025 ?
“Les chaussures à talons, surtout mes Jimmy Choo. J’ai rencontré la directrice artistique Sandra Choi à Londres l’année dernière et elle est géniale. En plus, Jimmy Choo fait aussi partie de ces marques qui ont une valeur pop culture que j’adore, notamment dans les citations de Sex and the City. Je suis rentrée en connaissance avec la marque par des séries et pas du tout par la mode. Ça fait partie d’un répertoire culturel commun, j’aime quand les marques arrivent à faire ça. Les marques de chaussures ont quelque chose que les marques de mode n’ont pas. La différence est énorme. Chez Jimmy Choo, on peut acheter une paire de 10 cm et être bien dedans dès la première fois. Il n’y a pas cette idée qu’il faudrait casser la chaussure. Je donne toujours la priorité à des marques de chaussures.”
Ton sac favori de l’année 2025 ?
“Je ne le mets pas tout le temps mais puisqu’on parle du sac de l’année, je dirais Le City de Balenciaga. Si on doit parler du sac d’une vie, Le Baguette de Fendi. C’est un objet de pop culture !"
Ta musique de l’année 2025 ?
“Berghain de Rosalía.”
Ton film de l’année 2025 ?
“Maria de Pablo Larraín.”
Ta série de l’année 2025 ?
“Severance.”
Ton podcast de l’année 2025 ?
“Une nouvelle émission de France Culture qui s’appelle La Fabrique de l’information. Excellent.”
Ton livre de l’année 2025 ?
“Mon vrai nom est Elisabeth d’Adèle Yon. Ce livre ne me sort pas de la tête. Je n’ai jamais trouvé cette forme de narration qui mêle l’enquête historique et les données scientifiques. Le sujet est très intime, le fait que l’autrice découvre l’existence d’une ancêtre qui a été taxée de folle à une époque où l’hystérie était tendance, et permet de faire avancer la recherche sur l’origine de l’hospitalisation des femmes en psychiatrie dans de petits villages français. C’était fascinant, ça mélangeait beaucoup de genres littéraires avec une grande rigueur scientifique. Peut-être que je me suis aussi reconnue dans son parcours de doctorante (ndlr, l’autrice Adèle Yon est normalienne et chercheuse en études cinématographiques au SACRe). J’ai adoré.”
Ta ville de l’année 2025 ?
“Je suis restée très locale cette année. Peut-être Arles, j’adore y aller quand il commence à faire beau, notamment pendant Les Rencontres de la photographie.”
Ton exposition de l’année 2025 ?
“Marie Antoinette Style au Victoria & Albert Museum à Londres. Je suis entrée comme simple visiteur et j’avais l’impression d’être témoin d’un moment historique.”
L’objet que tu gardes avec toi en 2026 ?
“Mon iPhone.”
Ton habitude de l’année 2025 ?
“Je vais souvent marcher au Père-Lachaise. Sinon, le masque LED est définitivement mon habitude de l’année 2025.”
Ta librairie de quartier de 2025 ?
“J’aime beaucoup une librairie à côté de chez moi qui s’appelle La Friche et qui a deux librairies côte à côte, l’une est dédiée au roman graphique et l’autre est dédiée à l’actualité scientifique et littéraire.”
Ton bar à vin de 2025 ?
“Je suis très 11ᵉ arrondissement. Le Barré au Square Gardette, j’y vais souvent. J’adore ce bar à vin.”
Ce que tu veux arrêter en 2026 ?
“Je voudrais moins scroller.”
Pour toi, quels sont les grands enjeux de la mode en 2026 ?
“Je pense que ça va être de définir des identités de marques distinctes les unes des autres et de renouveler la communication des défilés. Ce que Lyas a fait par exemple (ndlr, en 2025 le créateur de contenu Lyas a organisé des Watch parties pour visionner des défilés dans des lieux publics en amont de la Fashion week, notamment pour le premier défilé de Jonathan Anderson chez Dior en juin 2025, comme pour les matchs de football), c’est du génie mais ça fait aussi entrer l’idée que les défilés ne seront jamais pour tout le monde, il y a ceux qui regarderont et ceux qui y assisteront. Je pense qu’il y a une communication à faire là-dessus en renouvelant les accès virtuels et numériques au grand public pour les défilés. Je pense aussi qu’il y a un enjeu médiatique, il faut renforcer la stature des médias et faire comprendre aux gens l’importance des médias et pas seulement des personnes médias.”
Crédits photo : ©Instagram Saveria Mendella
©Instagram Saveria Mendella, Défilé Dries Van Noten printemps-été 2025/2026
