Le “performative male”, quel est ce nouveau fléau de l’année 2025 ?

L’été 2025 fut le terreau fertile d’une nouvelle espèce d’homme en quête d’une personnalité. Son nom ? Les performative males. Après avoir validé leurs classiques comme Fight Club ou Pulp Fiction, ils adoptent désormais les goûts et les valeurs des femmes… pour mieux les séduire. Une vague dont on espère avoir fini d’entendre parler avant la fin de l’année.

Genèse d’une énième tendance TikTok

Matcha à la main, short baggy Carhartt, moustache fraîchement dessinée et tote bag rempli d’ouvrages féministes… Cette pléiade d'éléments forme le portrait parfait du “performative male” ou l’homme performatif en français. Apparue quelques mois auparavant sur TikTok, cette tendance (encore une !) tend à mettre en avant un type d’homme qui s'approprie des attributs, des goûts, des valeurs pour plaire aux femmes. Pas à n’importe quelle femme puisqu’il faut qu’elle soit féministe et dotée d’un capital culturel élevé. Les hommes performatifs sont plus nombreux dans les grandes villes comme Paris, New York ou Londres qu’en province puisqu’ils possèdent des codes très citadins. Le performative male utilise le female gaze (le regard féminin en français, une notion théorisée par Laura Mulvey dans son ouvrage Visuel and Other Pleasures écrit en 1989) pour attirer le sexe opposé dans son giron. Il façonne ses traits à travers les attendus féminins, porte du vernis et s’informe sur la société qui l’entoure notamment en matière de droits des minorités. Sans crier gare, cette vague d’un nouveau genre a envahi nos sphères privées et publiques depuis l’été 2025 pour le meilleur et surtout pour le pire…

Sur TikTok, les vidéos d’hommes attablés à un café en train de lire avec attention À propos d’amour de bell hooks affluent et amusent puisqu’elles semblent bien irréelles pour celles qui lisent et étudient véritablement ces textes. bell hooks était une militante féministe et anti-raciste qui a écrit ce livre immensément connu, mais aussi bien d’autres ouvrages comme La volonté de changer : les hommes, la masculinité et l’amour (2021) bien moins lu par les hommes performatifs. Étrange, n’est-ce pas ? Alors oui, la tendance est hilarante, surtout lorsqu'on réalise la supercherie. Cependant, s’approprier des traits dont les femmes ont en fait un signe de reconnaissance au profit de l’hétérosexualité devient le vrai hic de l’histoire, le rictus d’une discussion où l’homme étale sa science sur l’artiste Clairo alors qu’il n’a jamais écouté cette artiste formidable (laissez Clairo tranquille !)…

Performer oui mais avec demi-mesure 

La performativité fait somme toute partie de nos modes de vie. Dans leur ouvrage Brand Culture, Daniel Bô et Matthieu Guével montrent que l’humain en tant “qu’animal symbolique” affirme son identité en performant à travers les expériences qu’il a vécues, les situations qu’il a observées et les comportements qu’il s’est approprié. Bien avant, la philosophe Judith Butler a démocratisé le “genre performatif” dans son livre Trouble du genre (1990). Elle écrit : “Il ne faudrait pas concevoir le genre comme une identité stable ou lieu de la capacité d’agir à l’origine des différents actes ; le genre consiste davantage en une identité tissée avec le temps par des fils ténus, posée dans un espace extérieur par une répétition stylisée d’actes”. Le performative man n’est donc pas un ovni du système puisque tout le monde peut performer. Il n’est pas rare que l’on se distingue avec une personnalité plus marquée lors d’une soirée pour donner envie aux gens de nous remarquer quitte à s’éloigner un peu de son vrai soi. Ce processus est naturel et se dessine au-delà du genre socialement construit.

Cependant, ce qui dénote ici, réside dans ce raz-de-marée d'hommes qui brise les carcans du genre de manière factice, simplement pour plaire aux femmes qu’ils verront en date (autrement dit juste pour une nuit). La prise de conscience n’a ici aucune importance puisqu’ils s’inventent une personnalité sans incarner les valeurs qu’ils prônent notamment le féminisme. Ainsi, un homme performatif peut lire des théories féministes et suivre des comptes de sexualité positive tout en n'appliquant aucune de ses règles dans son quotidien. La tendance des performative men n’est par conséquent qu’un écran de fumée. Ces groupes d’hommes illustrent bel et bien la perfidie d’une hétérosexualité toujours plus dominante envers la gent féminine, qu’elle soit progressiste ou non. Il est facile de croire que ces hétéros des temps modernes sont différents avant de tomber de haut lorsqu’ils montreront leurs vrais visages en écoutant JUL et pas Mitski (no offense contre les fans du marseillais, JUL a aussi ses talents).

©Just Jared Instagram

Les concours de “performative males” aux États-Unis, en Australie ou encore en Indonésie se veulent hilarants et ils le sont, mais un peu moins quand on sait que ces hommes-là existent vraiment (et sans remords). Dans un article pour GQ, la journaliste Mahalia Chang rappelle que la parodie de la masculinité reste de la masculinité. Ce besoin de validation et donc d’être un homme bien passe aussi par cette performance du genre, cette esthétique poussée à son paroxysme. Côté stars, Jacob Elordi est pointé du doigt pour être l’homme performatif par excellence ! Avec ses cardigans, son argentique et son John Steinbeck à la main, il attend patiemment son énième avion avec calme et sérénité. Un peu féminin, un peu masculin, il joue sur le fil en arborant des décolletés poilus et des copines toujours mannequins. On pourrait aussi penser à Harry Styles dont le queerbaiting avait fait parler de lui en 2022. L’homme aux premiers abords hétérosexuel - ses relations passées justifient l’affirmation - s’amuse avec le genre en portant des jupes et du vernis sans réellement faire avancer la cause LGBTQIA+. Désolée Harry !

Masculinité toxique 

Face au “performative male” s’oppose lemale alpha, un archétype ultra-musclé aux idées misogynes qui s’impose et cultive une haine des femmes tout en les désirant. Alors que le masculinisme vit ses heures de gloire, il est intéressant de comprendre aussi les origines de ce courant qui n’est pas aux antipodes de celui abordé aujourd’hui. Dans les années 1970, à sa naissance, le masculinisme naît d’une “bonne intention”. “ Au départ, ça vient d'initiatives d'hommes qui se qualifient de féministes et qui veulent être alliés à la cause des féministes. Ils se mettent à réfléchir à la façon dont ils participent directement ou indirectement aux inégalités et des féministes de leur entourage leur suggèrent de se regrouper et de réfléchir de leur côté à comment être de bons alliés”, explique la sociologue Mélissa Blais au micro de France Culture. Ensuite, la haine s’installe peu à peu : “Ils deviennent progressivement un problème parce qu'ils en viennent à attaquer les féministes pour des raisons très personnelles, comme une rupture sentimentale, ou parce qu'ils n'ont pas la place qu'ils estiment mériter dans les réseaux féministes. Apparaît donc le discours de la crise de la masculinité : si nous avons des problèmes en tant qu'hommes, c'est parce que les femmes nous dominent”.

En 2025, l’homme performatif surgit comme une lumière au bout du tunnel. On pourrait croire que ce caractère issu d’une période post #MeToo arrive pour clore des siècles de masculinité malsaine. Malheureusement, le performative man représente une veine plus pernicieuse de la masculinité contemporaine, une fausse identité construite pour plaire et attirer avant que la réalité n’éclate douloureusement. Quel est le but de défendre des soi-disant valeurs progressistes en appliquant plus tard des ressorts toxiques dans les relations ? Avions-nous vraiment besoin dans l’éventail des possibilités masculines déjà restreintes, de ces hommes performatifs qui sont drôles en photos, mais beaucoup moins lorsqu’ils partagent nos existences ?

Comment reconnaître un homme performatif ?

Il est d’autant plus compliqué de déceler la bascule qui fera d’un homme, un homme performatif. Dans ces temps obscurs où le dating ponctue nos vies, ces figures déconstruites aux physiques avantageux attirent un temps avant de devenir de véritables clichés. Pour nos âmes érudites, il faut se fier avant tout à des goûts qui dénotent pour des hommes. Savoir démêler le vrai du faux s’avère être une tâche ardue, car il est aisé de s’attacher à celui qui paraîtra si intègre et différent. “Il est si beau avec sa moustache !”, ponctue une copine avant de se rendre compte qu’il multiplie les conquêtes et suit le modèle Emily Ratajkowski, sûrement pas pour son superbe essai My Body qui dénonce les violences subies par le patriarcat, mais essentiellement pour ses photos dénudées.

Le génial compte Socks House Meeting recense ces trombinoscopes du XXIème siècle, du mec branché bobo qui sirote son vin orange, sabots Boston aux pieds, à la clean girl qui se tue au pilates et fait une cure détox Instagram. Récemment, le compte a posté un moodboard de ce que pourrait être le Non-Performative Summer autrement dit l’été non-performatif avec une multitude de détails intéressants : des chaussures normales, des chiens pas à la mode et pas de ballerines. Comme toutes les tendances TikTok, celle du performative male passera avec le temps et on espère de tout cœur qu’il partira en courant avec son Labubu, son mulet et son livre de Mona Chollet jamais ouvert !

©Instagram Socks House Meeting

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