Rencontre avec Damien Testu, poète des temps modernes
On fait la connaissance de Damien Testu à deux pas du Centre Pompidou, au cœur d’un début de soirée parisienne où les bruits de la rue se mêlent à la musique jazz du bar où l’on s’installe, le 153 pour les amateur·ices de cocktails et d’ambiance tamisée. Storyteller comme l’on pourrait dire en anglais, Damien est un passionné de mots aux multiples casquettes. Après avoir travaillé en agence de presse dans la mode, le jeune homme, qui vient tout juste d’entrer dans la trentaine, officie dans l’industrie en indépendant tout en s’appropriant d’autres médiums culturels comme la poésie. Tout récemment, l’autodidacte s’est lancé dans l’aventure du podcast, un exercice périlleux et intime qui le fait sortir de sa zone de confort. Rencontre avec un hyperactif animé par la création.
Paillettes, mode et Britney : la genèse
“J'aime bien me coller l'étiquette de storyteller parce que comme j'ai plein d'activités différentes, je dirais que c'est mon fil rouge. Aider des marques, des créateurs de mode, c'est comme ça que j'ai commencé à raconter leurs récits. J'ai écrit pour la presse mais je développe aussi des projets personnels, comme des fanzines, de la poésie. J'ai eu une newsletter et j’ai lancé un podcast récemment”, voilà comment se définit Damien Testu qui donne également des cours à l’ESMOD entre autres. Couteau suisse, si l’on peut le qualifier ainsi, le jeune homme construit une carrière au carrefour des disciplines, avec la créativité en toile de fond.
Cette envie d’explorer lui vient de l’enfance, lorsque Damien grandit dans le village de Milly-la-Forêt, lieu de villégiature de Jean Cocteau, une de ses idoles. Depuis toujours, Damien possède la fibre créative, une manière de s’évader en tant qu’enfant unique : “Mes parents ne m’ont jamais bridé. J'ai pu faire plein de choses différentes. Je pouvais dessiner, j'écrivais, je réfléchissais, je racontais des histoires. J'ai aussi fait du théâtre. Assez jeune, je pense que j'ai eu aussi ce sentiment où j'ai compris que je pouvais m'exprimer de manière plurielle”, développe Damien. Une approche qui va s’étoffer au fil des années et s’ancrer dans son quotidien d’adulte. Le futur poète prend le chemin de Paris pour réaliser ses études supérieures et enchaîne deux licences, d’anglais et d’information et de la communication, avant d’entrer à l’ISCOM. Grâce à cette école réputée, ce dernier parvient à se frayer un chemin dans l’industrie de la mode grâce à de multiples stages formateurs : “Pour moi, une carrière, ce sont des rencontres avant tout.” Au fil de ses expériences, il croise des personnalités, propose ses projets et construit alors à pas feutrés sa carrière en freelance.
©Damien Testu (photo personelle)
Damien Testu a toujours rêvé de travailler dans la mode, lui-même, grand amateur de pop culture. Son premier souvenir lié au vêtement ? Un choc visuel provoqué par la série Buffy contre les vampires avec Sarah Michelle Gellar. La métamorphose vestimentaire du personnage Willow (Alyson Hannigan) l’a toujours passionné. Damien Testu est un enfant des années 1990, avec tout ce que cette ère a apporté à la culture populaire. L’effervescence musicale, cinématographique et mode a bel et bien influencé sa personnalité lumineuse où les références sont omniprésentes. “D’où je viens, la mode n’existait pas. Je veux dire, une école de mode, je ne savais même pas que c’était possible pour moi. Pourtant, c’était un rêve. J’aimais particulièrement les costumes dans les séries. Les vêtements pour raconter des histoires, encore une fois, on retrouve le storytelling.”
Côté créateur·ices, le passionné se plaît à nous citer Hubert de Givenchy pour son lien avec le septième art (et son amitié avec l’actrice Audrey Hepburn), Martin Margiela pour son côté conceptuel ou encore Alexander McQueen pour ses défilés provocateurs. Chez eux, il admire leur technique et surtout leur courage à faire bouger les lignes. Tantôt propre sur lui, tantôt rebelle, Damien s’amuse avec les contradictions dans ses choix artistiques comme pour mieux refléter ses paradoxes intérieurs. De son côté, aucun snobisme intellectuel puisque les liens avec la culture mainstream se mêlent aux références pointues d’une collection printemps-été 1992 d’un Yves Saint Laurent. En citant son Panthéon, loin de n’être composé que d’hommes, il ne peut omettre celle qui l’a éveillé à l’esthétique, une certaine Britney Spears. Enfant de Disney au destin troublé, cette dernière se veut comme un repère crucial dans la chronologie créative de Damien Testu :“Britney Spears avec le serpent lors de sa prestation au MTV Music Awards en 2001 à New York. Ce soutien-gorge vert, cette culotte avec des rubans, ce reptile et puis le micro avec des strass. Je me suis demandé comment elle pouvait faire ça ? J’avais 6 ans et ce souvenir m’a construit”, raconte-t-il avec émotion, comme s’il venait de voir pour la première fois cet instant d’épiphanie.
“Pour moi, une carrière, ce sont des rencontres avant tout.”
Le Panthéon de Damien Testu
La poésie comme un besoin
En 2024, Damien Testu publie Cœur Météore, un recueil de poèmes qui constitue le premier pan d’une trilogie encore incomplète à ce jour (le troisième fanzine sortira en 2026). Par le biais de la poésie, Damien Testu renoue avec un genre littéraire qui l’a toujours attiré. Enfant, il écrivait des comptines ou des paroles de chansons se servant sans cesse des mots pour traduire ses états d’âme passagers ou permanents. “La poésie est liée à l'expression de soi. Je trouve que c'est la meilleure manière de faire sortir des sentiments et d'aller presque titiller soit son enfant intérieur, soit son adolescent intérieur. Cela représente une grande partie de mon travail”, explique-t-il.
Passionné par les jeux de mots et par celles et ceux qui en sont à l’origine, de Paul Éluard à Jean Cocteau en passant par Adrien Gallo (l’ex chanteur de BB Brunes qui poursuit désormais sa carrière en solo), il évoque des sujets intimes comme l’amour ou la sexualité afin d’en faire un matériau politique : “Ce sont des sujets qui me tiennent à cœur. En tant qu'auteur queer, c'est important de les aborder. C'est important de parler de santé mentale. C'est important de parler du rapport au corps. C'est important de parler de sexualité. Pour moi, c'est une évidence”, développe Damien. L’utilisation du “je”, les thèmes personnels, la prise de position… Damien Testu s’inscrit dans une tradition sans s’apposer l’étiquette de personnalité engagée. Il cite l’auteur Édouard Louis, lui-même queer, qui a publié des ouvrages comme En finir avec Eddy Bellegueule (2014) ou Monique s’évade (2024), des textes imminents politiques presque sociologiques qui soulève la question de la domination masculine et de ses conséquences dans les sphères privées et publiques. Entre le personnel et le politique, le poète aime se situer pour rendre son projet plus authentique : “De manière très personnelle, de toute façon, être une personne queer fait que mon existence est politique, quoi qu'il arrive. Moi, je suis pour les engagements sincères. Les artistes, pour moi, font partie des phares du monde. Ils sont là pour éclairer.”
Lorsqu’il compose, Damien noircit de nombreux carnets, surtout la nuit, une période de réflexion intense. Cependant, au quotidien, il inscrit ses pensées dans son application Notes : “À ce moment-là de ma vie, quand j'ai commencé à travailler sur ma poésie, j'étais dans une période où je me questionnais beaucoup, j'avais beaucoup d'émotions contradictoires. J'ai vécu des choses sur le plan personnel qui ne sont pas des choses graves, mais qui forgent un être. Des déceptions, des désillusions, des ruptures amicales et sentimentales. Forcément, l’ensemble a nourri l'écriture.” Mettre des mots sur ses émotions permet au poète de passer des instants complexes et d’en guérir avec le temps. Les recueils sont alors un concentré de sensibilité aux mots percutants, sensuels qui traduisent des émotions brutes, quasiment universelles. “Écrire est une manière de trouver du sens et d'accepter que la vie est faite de hauts, de bas et de phases où tout est assez plat. C'est le sel de l’existence”, ajoute-t-il.
©Instagram Damien Testu
Nommé au Prix du Roman Gay 2025 pour Cœur Météore dans la catégorie poésie, Damien Testu obtient une forme de reconnaissance dont il ne se doutait aucunement, lui qui a auto-édité sa propre fanzine comme un besoin vital d’écrire ses sentiments : “Quand j’ai été sélectionné, j’ai été totalement surpris. En dehors de ça, j’étais touché de faire partie d’une sélection d’auteurs queers, c’est tellement important de mettre en lumière ces artistes-là. On a besoin de ce genre de prix en France surtout dans notre société contemporaine.” Passionné par le travail collaboratif, Damien Testu s’est entouré des photographes comme Marivan Martins, Olivia Ghalioungui ou encore Bérangère Portella pour les clichés de Cœur de Lune.“Travailler avec cette équipe m'a énormément aidé à affiner ce que je voulais. En tant que photographes, ils ont pu mettre des images sur mes poèmes. On dit souvent que quand on est seul, on va plus vite, mais quand on est plusieurs, on va plus loin”, ajoute Damien le sourire aux lèvres.
©Bérangère Portella
Des projets plein la tête
“T ou” est le dernier projet en date de Damien Testu, un podcast alternant entre des épisodes en solo, où Damien Testu choisit un sujet et le développe, et des rencontres avec des invité·es choisis par l’hôte, le premier étant le créateur Steven Passaro. “Je choisis toujours des personnes qui sont encore une fois très pop, des gens qui parlent d'un sujet qui m'intéresse parce qu'ils ont écrit un livre, parce qu'ils sont artistes, parce qu'ils prônent des valeurs ou transmettent des messages que je trouve intéressants”, nous explique Damien. Les thèmes traités restent liés aux préoccupations personnelles du jeune homme : santé mentale, sexualité, relation, déception. Avec une voix posée, installé au cœur de son appartement parisien, le jeune homme partage ces idées et utilise son expérience pour créer une histoire commune.
Ce nouvel exercice qui se plonge une fois de plus dans l’aspect sensible de nos existences est un projet compliqué pour Damien qui passe de l’écriture au podcast, deux formes radicalement opposées qui se complètent plutôt bien : “C'est le projet le plus difficile que j'ai réalisé. Je trouve qu'il y a une chose très intime et très vulnérable dans la voix. C'est complexe parce que je ne vais pas refaire tout le truc sur la construction de l'identité qui est liée à la voix, qu'on a tous et toutes connues plus ou moins. C'est une petite partie de ça.” La posture change, mais Damien a toujours aimé jongler entre les disciplines comme les artistes auxquel·les il se réfère. “Les personnes que j'admire, ce sont toujours des personnes qui font mille et une choses. Que ce soit Jean Cocteau, ou Madonna, pour aller du plus intellectuel au plus pop. Pour moi, ce sont toujours des personnes qui ont fait plein de choses et qui ne se sont jamais cantonnées à un travail.” “T ou” s’ancre dans le temps long avec une saison 1 qui va continuer jusqu’à la fin de l’année 2025 et une seconde saison qui verra le jour à l’aube de l’année 2026.
Hyperactif et passionné comme ce petit garçon à demi éveillé que l’on peut voir sur la photo du podcast, Damien nous évoque les contours de ses désirs futurs : “À plus long terme, j’aimerais réaliser un court-métrage.” Son envie secrète ? Écrire des chansons pour des artistes… Damien conclut notre interview par une anecdote, celle du jour où il a rencontré Adrien Gallo, ex-chanteur des BB Brunes qui développe désormais son art en solo avec un nouveau EP intitulé Premiers souvenirs du futur. Depuis son adolescence, il est fasciné par son écriture simple, ses jeux de mots et sa musique. “Je l’ai rencontré un jour par hasard et je lui ai dit que j’adorais son travail. Quand je lui ai demandé si je pouvais lui faire lire quelques textes, il l’a fait très gentiment. Il m’a encouragé et c’est un peu grâce à lui que j’ai décidé de sortir des fanzines pour donner vie à ces textes.” Cette émotion omniprésente, cet attachement aux mots, à la musique et aux rencontres, résume sans aucun doute le parcours de Damien Testu celui d’un touche-à-tout qui fait dialoguer les arts avec délicatesse. Dans cet esprit sans cesse bouillonnant, une chose demeure : un besoin enfantin de raconter le monde avec poésie.
Cœur de lune est disponible chez Cahier Central, juste ici.
