Myah Hasbany, la singularité primée face aux paradoxes de l’industrie de la mode

Le traditionnel défilé de fin d’année du Central Saint Martins, à Londres, a couronné Myah Hasbany : une jeune créatrice au regard singulier, à l’univers poétique et puissant. Une victoire personnelle éclatante, au cœur d’un événement qui révèle chaque année une multitude de talents émergents. Mais derrière la beauté des silhouettes et l’émotion des podiums, une question demeure : que deviennent ces jeunes designers une fois sortis de l’école ?

©WillowWilliams

Myahhasbany présente une collection audacieuse et volumineuse

Le mercredi 4 juin, le défilé annuel du Central Saint Martins a rassemblé à Londres de nombreux jeunes créateurs venus présenter leur collection devant un jury d’experts. Comme chaque année encore, le défilé a tenu ses promesses : foisonnant, libre, intense. Et dans ce paysage créatif, c’est Myah Hasbany qui s’est imposée en remportant le prix L’Oréal Professionnel Jeune Talents 2025. Une distinction symbolique, désormais associée à son nom, et qui propulse sa jeune carrière dans un monde où reconnaissance institutionnelle et visibilité médiatique sont souvent décisives.

Mais Myah Hasbany s’est imposée par une chose rare : la cohérence totale entre son univers créatif et le message porté par ses vêtements. Sa marque ne ressemble à aucune autre. Là où beaucoup tentent encore de séduire le marché avec des propositions esthétiques attendues, Myah, elle, refuse les compromis. Ses créations dégagent une forme d’urgence, comme si chaque pièce était un manifeste personnel. Chez elle, la mode n’est pas ornementale : elle raconte, elle questionne, elle dérange parfois, mais surtout, elle propose autre chose. Sa vision des choses, son monde. Chaque pièce est un fragment d’un monde intérieur, un geste radical contre le lisse, contre l’attendu. Là où d’autres cherchent à séduire l’œil, elle cherche à remuer. Cependant, cela reste-t-il encore possible dans l’industrie de la mode ?

Des créateurs plus audacieux que l’industrie elle-même ?

La victoire de Myah Hasbany ne doit pas éclipser la richesse du défilé dans son ensemble. Le public et le jury ont pu découvrir des looks tout aussi surprenants que sans voix. Comme un des looks d’Andy Pomario, une “sorcière” volant sur son balai dans un espèce de décor, pouvant se déplacer grâce à l’aide de deux personnes aux deux extrémités. À travers ce tableau et son imagination, Andy Pomario nous a démontré qu’un défilé ne se résume pas seulement à un vêtement et à un mannequin qui le porte, au contraire, c’est bien plus que ça. Deux autres looks ont également marqué le défilé du Central Saint Martins, ce sont ceux de Linus Steuben et Honji Yan. Tous les deux ont décidé de mêler technologies et mode à travers leur look. D’un côté Linus Steuben, faisait défiler un mannequin avec un chien robot qui avait la particularité d’être tellement dissipé que le mannequin finit par le porter à son retour en loge. Quant à Honji Yan, il a présenté au public un mannequin habillé simplement d’un cycliste et top à manches longues gris, avec un écran intégré, empêchant le mannequin de voir où il va mais  permettant à tout le monde de voir la scène sur ce même écran.

Si il y a bien un point commun que tous ces jeunes créateurs ont, c’est une liberté de ton et une prise de risque que l’on retrouve de moins en moins sur les podiums officiels. Formés pour imaginer, créer, diriger, aujourd’hui, les jeunes diplômés se heurtent à un défi de taille : un secteur bouché et pas forcément prêt à accueillir des talents toujours plus créatifs avec une vision moins standardiste des créateurs actuels. Là où certaines grandes maisons misent sur la sécurité commerciale, ces étudiants n’ont encore rien à vendre : ils osent. Ils explorent. Ils dérangent. Et, ironiquement, certains d’entre eux semblent aller plus loin dans l’innovation que les directeurs artistiques de maisons historiques, pourtant censés incarner la pointe de la création contemporaine.

@Andy.pomario

Former des artistes quand l’industrie réclame des exécutants

Mais au milieu de cette effervescence créative, une question persiste. Chaque année, les grandes écoles de mode forment des dizaines de jeunes talents, tous portés par la même ambition : devenir designers, directeurs artistiques, lancer leur marque, imposer leur univers. Mais une fois le diplôme en poche, combien d’entre eux trouvent réellement un espace pour exprimer cette vision ?

On forme des auteurs complets, capables de penser la mode comme un tout, mais l’industrie, elle, cherche avant tout des profils flexibles, silencieux, parfois même effacés. Des stylistes plus que des créateurs, des exécutants plutôt que des têtes pensantes. Il y a un décalage énorme entre les attentes que nourrit la formation, et les réalités d’un marché saturé, sous pression, parfois étouffant. Et surtout, la créativité de ces jeunes diplômés brute, engagée, souvent radicale ne correspond pas toujours aux identités bien établies des grandes maisons. Leur vision ne colle pas aux codes en place, ni aux impératifs commerciaux d’une industrie qui valorise l’innovation sans jamais vraiment sortir de sa zone de confort.

Peut-être qu’il est temps de réinterroger nos repères. Et si on valorise autant la technique que le concept ? Et si maîtriser la coupe, les matières, la couture au sens noble, redevenait un pilier aussi important que de développer une "vision" ou une "identité de marque" ? Si on arrêtait de faire croire à chaque élève qu’il sera le prochain McQueen, pour l’accompagner plus concrètement vers une carrière durable, solide, réaliste ? Parce qu’au fond, ce ne sont ni le talent ni la créativité qui manquent aujourd’hui. Ce qui manque cruellement, c’est l’espace pour qu’ils puissent exister au même niveau que les autres.

©WillowWilliams


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